Le Symbolisme Français


Les mégalithes de la région de Carnac, sur la côte ouest de la Bretagne, sont les plus vieux monuments connus d'Europe ; ils sont antérieurs à Stonehenge, en Angleterre, de plus de deux mille ans. Alors que ce dernier site se présente comme un ensemble unique, propice au mysticisme qui fait sa célébrité, il paraît modeste en comparaison de l'ampleur mégalithique du site français.


Ranger de menhirs solitaires


Du point de vue du nombre de pierres dressées à Carnac, de leur taille et de leur poids. Il y a, à Stonehenge, quatre-vingts pierres ; à Carnac, quatre mille. La plus lourde pierre de Stonehenge pèse 46 tonnes ; à Carnac, le Grand Menhir Brisé (Roche aux Fées) est le bloc le plus imposant jamais traité et charrié dans l'Europe ancienne. Avant qu'il ne se brise en quatre morceaux - vraisemblablement lors d'un tremblement de terre en 1722, il mesurait 19,8 mètres de haut et pesait plus de 319 tonnes. Selon des recherches récentes, il servait de point d'observation pour l'étude des phases de la lune ; mais selon la plupart des avis, son emplacement près d'un tertre funéraire, lui donnait la fonction de garder ; les morts. Or, comparativement, l'énorme Roche aux Fées n'est qu'un petit morceau, de l'ensemble mystérieux de Carnac.

Carnac est l'un des mystères les plus durables de l'archéologie, écrit Evan Hadingham, spécialiste britannique de ce site comme de Stonehenge. Les immenses questions irrésolues qu'il pose sont aussi palpitantes que celles des pyramides. Après deux cents ans, pour le moins, d'investigation scientifique, le secret de Carnac demeure en grande partie inviolé.
L'un de ses mystères a néanmoins été percé, il y a peu. Pendant des siècles, les historiens croyaient que ces mégalithes avaient été élevés par les Celtes de Gaule pour leurs prêtres, les druides. Bien qu'on ait eu l'intuition, dès le milieu du XVIIIe siècle, que Carnac fût pré-celtique, il a fallu attendre 1959 pour que les scientifiques puissent dater ces mégalithes en utilisant la méthode de datation au carbone 14 ; ils seraient de 4 3 00 av J. C ; les plus anciens, dont le ténébreux couloir funéraire de Kercado près de Carnac, remonteraient à 4 650 av J.C.

L'utilisation de pierres en hommage aux défunts, ou aux reliques, se retrouve universellement.  Mais il y eu peu de peuples anciens assez habiles pour avoir élevé des témoignages comparables à ceux de l'Europe occidentale. La campagne bretonne est émaillée de menhirs, de dolmens et de cromlechs.

Il y a plus d'une cinquantaine de dolmens avec des chambres de formes et de tailles différentes disséminées dans le paysage de Carnac et de ses environs. Aux alentours, des centaines de menhirs solitaires, dont la hauteur peut s'élever jusqu'à 9,4 mètres peuplent les bois et les landes. Mais le panorama le plus grandiose le plus inoubliable est celui des alignements de menhirs, forêt de pierres dressées, dont la succession s'étale à perte de vue. C'est un spectacle à couper le souffle, presque trop grand au premier regard.


Rassemblement de Druides ...


Voici l'évocation que fit, en 1827, le chevalier de Fréminville, archéologue français : Le nombre de ces pierres, leurs figures bizarres, l'élévation de leurs pointes grises, allongées et mousseuses, qui se dessine d'une manière tranchante sur la noire bruyère dont la plaine est couverte, enfin la silencieuse solitude qui les environne, tout frappe, tout étonne l'imagination, tout pénètre l'âme d'une vénération mélancolique pour ces antiques témoins des événements qui signalèrent tant de siècles accumulés sur leur tête.

Debout dans leur silencieuse solitude, les alignements s'étalent sur presque 8 kilomètres, en quatre directions successives, à travers forêts et prairies, à partir de la petite ville du Ménec, au nord de Carnac. Le premier alignement part du Ménec vers l'Est : 1 099 menhirs placés côte à côte, par ordre décroissant, sur onze allées distinctes. Les pierres encore dressées, au début de l'alignement, ont 4 mètres de hauteur ; à la fin, elles mesurent moins de 1 mètre. Les espacements entre elles sont irrégulières ; les rangées s'infléchissent en courbe douce au nord est sur presque 11 kilomètre avant d'aboutir à une pinède.

À l'Est, sur une montée, se trouve une autre série d'alignement à Kermario (le lieu des morts). Les menhirs y sont nettement plus grands et s'étendent même plus loin que ceux du Ménec, mais en sept rangées seulement. Ils mesurent 7 mètres de haut pour les plus grands, taille qui diminue régulièrement vers l'Est. L'alignement parcourt 12 kilomètre, et aboutit à un lieu où trois grandes pierres ferment la rangée principale en angle droit.

Après une autre forêt se trouvent les alignements de Kerlescan (lieu de la crémation), vers l'Est, sur à peine 365 mètres. Ces treize rangées parallèles, de 540 pierres, paraissent s'arrêter net à Kerlescan. Le dernier et plus petit alignement, qui comprend cent pierres, se trouve au Petit Ménec.

Curieusement, bien que ces pierres nous renvoient si loin en arrière, on ne trouve aucun témoignage écrit important à leur sujet avant le XVIIIe siècle. Cette lacune n'a fait qu'encourager les affabulations folkloriques et les croyances mythiques sans nombre, qui ont été répétées avant que nous ayons quelques certitudes historiques.

À commencer par la légende de Corneille, saint patron de Carnac et protecteur de son bétail, ancien pape. L'histoire raconte qu'il fuyait devant les légions romaines et se dirigeait vers sa Bretagne natale, avec un chariot attelé de bœufs ; il arriva sur une colline, au nord de l'actuel Carnac, et là, se voyant encerclé par l'armée romaine, il réalisa le miracle de changer les soldats en autant de pierres. Ainsi, les rangées de granit ne seraient autres que ces soldats romains, chacun différent des autres, pétrifiés à jamais.

La plupart des savants du XVIIIe siècle étaient presque unanimes à penser, tout comme de nombreux scientifiques, jusqu'à la datation au carbone 14, que les grands menhirs étaient de l'époque de César. Pour eux, c'était là l'œuvre des druides.
De nombreuses théories excentriques vont des plus matérialistes (ces rangées de menhirs ont été bâtis par les Romains comme pare vents pour leurs tentes), aux plus vulgaires (c'étaient des voies le long desquelles officiaient des prostituées), en passant par celles relevant du sport (c'était un terrain de criquet ou de golf) et les inévitables extravagances sur les extraterrestres (encore une piste d'atterrissage pour leurs navettes)jusqu'à une époque récente, tout comme dans le cas du Géant de Cerne Abbas, les mégalithes de Bretagne ont été intégrés à d'anciens rites de fertilité. À Cruz-Moquen, les femmes levaient leurs jupes en face des dolmens, dans l'espoir de tomber enceintes. Et dans un autre rituel, au soir du Premier Mai, les femmes sans enfants glissaient, nues jusqu'à la taille, le long des pierres inclinées du Grand Menhir Brisé.

En ce qui concerne la fonction lunaire des mégalithes, on a maintenant assez de preuves scientifiques pour dire qu'ils servaient, tout comme à Stonehenge, à dresser la carte céleste du soleil, de la lune et des étoiles. Abordée dès le siècle dernier, la théorie astronomique a reçu l'appui vers 1970 d'un professeur d'Oxford, Alexander Thom. Après avoir sillonné la campagne autour de Carnac et en avoir dressé la carte, ce passionné octogénaire a étayé ses découvertes par une observation minutieuse de presque chacune des pierres. Il est parvenu à la conclusion que les mégalithes étaient une sorte de laboratoire perfectionné pour l'étude des phases de la lune. La pierre de touche de son argumentation... n'est autre que le Grand Menhir Brisé. Le considérant comme un poste d'observation pour établir des correspondances le long de la ligne d'horizon, Thom prétend qu'il était possible d'y suivre les levers et les couchers de la lune, comme d'y prévoir les éclipses.



Des scientifiques, après lui, tels Evan Hadingham, ont critiqué cette thèse. Si Hadingham reconnaît avec Thom la possibilité d'une astronomie mégalithique serait , selon lui, un anachronisme que d'imaginer les peuples du Néolithique comme des scientifiques de pointe. Les alignements le plus clairement orientés en fonction du soleil et de la lune ne font évidemment pas partie d'un programme d'étude rationnel, mais d'un ensemble symbolique et religieux, dont nous ignorons presque tout.

Que savons-nous, enfin, de Carnac ? Rien de bien certain, sinon que nous pouvons faire quelques suppositions. Les trois mille pierres encore debout faisaient probablement partie d'un ensemble qui en compta, un temps, jusqu'à dix mille. Quant à la signification des mégalithes, il est probable que les menhirs isolés confondaient les fonctions de repère topographique, d'hommage funéraire et de symbole de la fertilité. Les alignements peuvent avoir servi à des processions, même avec le bétail sacrificiel. Les dolmens étaient non seulement des tombeaux, mais ils ont aussi pu aider à dresser des cartes du ciel : la plupart d'entre eux sont tournés vers le soleil au point exact de son lever au solstice d'été, et les alignements vont ostensiblement d'ouest en est.

La solution de l'énigme des allées de Carnac semble hasardeuse sans relevé topographique sûr ; des milliers d'années dorment dans le mystère de ces pierres silencieuses. Quel langage nous parlent donc les pierres de Carnac, sinon celui de leur pure beauté ?


Cette question restera pour le moment sans réponse ...
Les mégalithes ne sont pas les seuls symboles français, tout comme les égyptiens, les Européens attribuer à des objets des significations pouvant parfois être assez surprenante ...


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